à MARGOT
LE PARCHEMIN VOYAGEUR
auteur: JAQUOU 
La route immergée reliant l’île au continent se découvrait sous un soleil naissant. Max et Jo criaient leur joie : deux mois de vacances, au bord de l’océan, chez tata Lily et tonton Archibald, un vieux loup de mer qui avait travaillé avec leur père. Ce couple de retraités était venu s’échouer à deux encablures du passage du Gois. Ce matin, les orphelins avaient pris un petit déjeuner rapide. Une mission de la plus haute importance les attendait : braver l’interdit.
— Est-ce qu’on retourne sur la plateforme, comme l’année dernière ? demanda Jo, les yeux brillants d’impatience.
— On y va maintenant, répondit Max. Nous avons trois heures devant nous si l’on ne veut pas prendre de risque.
À peine Max avait-il terminé, que Jo disparaissait dans le jardin récupérer son vélo.
Le sable et l’eau giclaient derrière les roues des deux bicyclettes fonçant à toute allure ; le passage en point de mire approchait. Max s’immobilisa. Il sortit les jumelles de son sac.
— Pourquoi s’arrête-t-on ? demanda Jo.
— J’ai cru voir quelque chose qui flottait au pied du premier mât, répondit Max. Allez, il ne faut pas traîner.
La plateforme surplombait la chaussée découverte ; un point d’observation idéal. Le passage du Gois en était parsemé, sortes d’échappatoires pour retardataires ; la marée montante ne pardonne pas. Jo sortit les deux talkies-walkies.
— Tu prends le premier quart, ordonna Max, moi je vais explorer en direction de ce rocher. N’oublie pas nos codes de communication.
— Ici Narout’, je vous reçois cinq sur cinq, fit Jo au garde-à-vous. Sazqué, à vous.
Puis, il commença à escalader le poteau devant lui, pendant que Max vérifiait sa trajectoire.
Il aperçut tout de suite ce qu’il avait pris pour un rocher : une caisse coincée entre deux blocs de calcaire corallien.
Arrivé sur son objectif, il fit part de sa découverte à Jo, puis commença son inspection.
— Ici Sazqué. La caisse mesure trois mains sur une main sur une main. Je commence à l’ouvrir.
Jo retranscrivit sur un carnet les indications données par son frère. Il nota aussitôt le contenu de ce qui devenait un coffre.
« Une bouteille de couleur marron qui sonne creux, avec un gros bouchon recouvert d’une pâte rouge. Et un crabe mort. »
— Ici Narout’, fit Jo un peu dépité. Rien d’autre ? À toi.
— Ici Sazqué, s’énerva Max, je rapporte la bouteille. Pas de touristes en vue ?
— Non tout est clair. Terminé.
Max rejoignit son frère sur la plateforme.
Jo lui fit remarquer l’aspect étrange du bouchon.
— C’est de la cire, suggéra Max, assis en tailleur. Donne-moi le couteau, on va l’ouvrir.
La cire avait empêché l’eau de rentrer, quant au bouchon, Max n’eut aucun mal pour l’enlever : il s’éparpilla en morceaux. Il secoua la bouteille, mais rien n’en sortit. La journée était gâchée.
Jo, resté debout, prit la bouteille, et tout en voulant s’asseoir, perdit l’équilibre. Il laissa échapper le butin qui se brisa net.
— Espèce d’abr, hurla Max. Il s’arrêta, quand il vit Jo écarter les morceaux pour en sortir un rouleau de papier.
— Qu’est-ce que c’est, demanda Jo, troublé par sa maladresse.
— Un vieux parchemin, répondit son frère, les yeux écarquillés.
Jo se colla contre son frère pour mieux voir. Max n’était plus fâché. Au contraire, grâce à lui, la journée devenait prometteuse. Max déroula le parchemin.
Voyageur imprudent,
Ne lis pas ce qui suit,
Donne-le à l’enfant.
En travers, il me lit,
Et saura, bien avant,
Ce que faire de ma vie,
Ce que l’eau détruira,
Ce que vent séchera,
Et feu révélera.
Ils se regardèrent sans un mot, quand subitement Max se leva et prit son frère par la main.
— Vite, on dégage, cria Max tout en descendant de la plateforme. Grouille-toi !
L’eau commençait à envahir la chaussée, quand ils enfourchèrent leur vélo.
— Il était moins une, fit Max essoufflé.
Pendant le repas, les enfants s’aperçurent vite que quelque chose clochait.
— Eh bien les garçons, questionna Tante Lily, vous n’avez rien à raconter ? Et votre promenade au blockhaus ?
Les enfants étaient consignés dans leurs chambre tout l’après-midi. Leurs explications embarrassées n’avaient pas trompé tonton Archi, revenant justement de sa balade matinale au blockhaus sans les avoir vus. Le passage, lui, était interdit sans la présence d’un adulte.
Qu’à cela ne tienne, ils avaient une énigme et le parchemin était clair : seul un enfant pouvait la résoudre.
Max relut attentivement chaque mot.
— Le parchemin parle du parchemin, fit Max. L’eau le détruira, c’est le parchemin. Le vent le séchera, c’est encore le parchemin.
— Mais alors, le feu ? interrogea Jo.
Max revint discrètement de la cuisine, puis passa la flamme d’un briquet sous le papier. Son visage s’illumina en un gigantesque « Hourra ! ». Ébahis, ils observèrent la lente transformation : une écriture serrée recouvrit tout l’espace.
— C’est de l’encre sympathique, fit Max, comme expliqué dans un de mes Pictout Magazine. Tu écris avec du jus de citron sur du papier : c’est invisible. Tu chauffes : les caractères réapparaissent. Écoute !
« ...vous ne saurez jamais qui a écrit ces lignes. Je ne saurai jamais qui les lira. Recopiez ce poème, puis avec du jus de citron, écrivez ce qui vous tient à cœur... »
Un grincement. Une ombre gigantesque apparut dans l’encadrement de la porte. Max et Jo se retournèrent comme un seul homme. Archi se tenait devant eux, bras croisés, et les observait.
— Vous l’avez trouvé ? fit-il. Je suis heureux que ce soit vous deux. C’est votre papa qui l’a écrit. Un sacré bonhomme. Il m’en avait parlé un soir après le travail.
Max et Jo, interloqués, s’attendaient à une réprimande.
— Allez, reprit Archi. Venez avec moi, je vais vous aider à trouver ce qu’il faut.
Une heure plus tard, devant le cabanon au fond du jardin, Archi regardait Max et Jo partir en direction de la plage.
L’océan commençait à s’endormir poussant le soleil à l’ouest. Une bouteille dans son coffre de bois flottait vers le large, avec à son bord, un parchemin voyageur.
J.L.G.